In Memoriam

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Adrienne et Josette, 1963, photo Archives de la Société du Christ Seigneur
Adrienne et Josette, 1963, photo Archives de la Société du Christ Seigneur

Adrienne Cabana
20 août 1924 – 5 février 2020

« Tu m’as appelée, me voici ! » (1 S 3,1-9)

Responsable générale de la Société du Christ Seigneur pendant plus de trente ans, Adrienne a travaillé en étroite collaboration avec le Fondateur, le Père Ludger Brien, S.J. Elle a assisté à la naissance de la communauté et participé à sa croissance, souvent dans l’ombre, assumant avec la plus grande discrétion les lourdes responsabilités qui lui ont été confiées. Lors du 50e anniversaire de la fondation de la Société, elle nous livrait son cheminement intérieur.

Qui, dans le creux même d’une épreuve, d’une maladie, d’une souffrance morale, n’a perçu un jour, ne fût-ce que l’instant d’un éclair, un appel du Seigneur, une touche de la Grâce, une caresse du divin Consolateur, et ne l’a gardée, comme un précieux trésor, au fond de son cœur ? Qui n’a pas été bouleversé par cette ondée spirituelle ? ou l’ayant oubliée pour un temps, ne l’a retrouvée comme un phare dans la nuit, pour enfin répondre à l’invitation discrète manifestée sous une autre forme ?

Cela m’est arrivé ! Toute jeune. Confinée à la maison — les joies de l’hiver m’étant interdites à la suite d’un accident de voiture —, je regarde tristement les autres enfants se rouler de plaisir dans la neige en ce beau dimanche de janvier… Jusqu’au moment où, pour me distraire, il me vient à l’esprit d’aller chercher un vieux livre de prières conservé dans un tiroir de précieux trésors anciens. Seule dans la maison, à peine ai-je commencé à lire que je suis touchée par une Présence intime si profonde que jamais je ne pourrai l’oublier.

Jésus m’attira si fort à lui que chaque dimanche de cet hiver, j’étais pressée de le retrouver, le vieux livre de prières étant devenu le lieu privilégié de notre rencontre. Les autres enfants pouvaient bien s’amuser au-dehors, moi j’étais ravie d’être seule avec Jésus. Première expérience de consolation sensible, que je comprendrai… plus tard ! Origine lointaine d’une vocation à la vie consacrée qui prendra quelque temps à se développer : études et profession d’enseignante m’occupent et le divin Consolateur me touche si doucement que, pour le moment, je me satisfais, semble-t-il, de cette honnête vie chrétienne.

À 21 ans toutefois, je crois répondre à son appel en entrant dans une communauté enseignante où je me sens des plus heureuse : Tu m’as appelée, me voici ! À peine trois mois se sont-ils écoulés qu’un handicap d’audition se manifeste et je dois quitter la communauté. Déconcertée, je vivrai quelques années à interroger le Seigneur : « Que veux-tu de moi ? » Pourquoi ce handicap qui, tout en s’aggravant presque imperceptiblement, ne m’empêche pas de retourner à l’enseignement (où j’œuvrerai sept autres années) ? Et pourquoi les consolations spirituelles continuent-elles de m’envahir en pleine rue, au travail, dans les loisirs ? J’y reconnais bien Jésus, mais il ne me dit rien de plus…

Année Sainte 1950

Mil neuf cent cinquante : année marquante dans ma vie ! Invitée avec d’autres enseignantes à former une Congrégation mariale qui nous réunit chaque semaine après la classe, je m’initie à la spiritualité ignatienne, qui m’apprend le discernement spirituel, et je chemine joyeusement, conquise par la Vierge Marie qui me conduit à Jésus, le Bien-aimé déjà rencontré. Je ne me pose plus de questions, car je suis engagée apostoliquement, et je suis heureuse. Mais ce n’est qu’une étape !

Envoyé en pays de mission, le directeur de la Congrégation nous oriente vers le Secrétariat national des Congrégations mariales. Nous y sommes reçues par le Père Ludger Brien, S.J., promoteur des Congrégations, qui nous informe, avec une conviction communicative de l’existence d’une section d’enseignantes à l’intérieur de la Congrégation du Secrétariat. Avec quelques-unes de nous, je décide de m’y joindre et, encore une fois, je crois que l’enseignement et la Congrégation répondent pleinement aux appels intérieurs que je perçois.

L’expérience des Exercices spirituels me gagne à suivre Jésus de plus près dans une nouvelle voie, mais laquelle ? Entendant le Père Brien parler de la communauté de laïques consacrées qu’il a fondée il y a quelques mois à peine, je m’y sens attirée. Je suis interpellée par ce prêtre qui nous enseigne si lumineusement l’amour de Jésus, de la Vierge Marie et de l’Église. Il devient alors mon accompagnateur spirituel et m’invite au groupe qui se réunit chaque samedi soir au Secrétariat, de façon plutôt discrète. Le Père nous initie au Sommaire des Constitutions de la Compagnie de Jésus. Je me sens toujours plus attirée par la personne de Jésus, que ce jésuite laisse transparaître par tout son être et son agir.

La communauté naissante n’a ni Constitutions, ni maison, ni vie communautaire, si ce n’est celle de la Congrégation mariale dont nous sommes toutes membres. Mais c’est déjà une assise solide, car elle nous propose la sainteté dans une vie ordinaire où s’unissent prière et action apostolique.

Expérience de foi aveugle

Je traverse l’année 1952-1953 engagée à plein dans l’enseignement et cette nouvelle manière de vivre. Le Cardinal Paul-Émile Léger ayant encouragé le Père Brien à acheter une maison pour y loger des permanentes affectées au service des Congrégations, je perçois intérieurement l’appel à tout quitter : famille, amis, profession, études, voyages et plaisirs : Tu m’as appelée, me voici ! L’attrait de Jésus est tellement puissant qu’il l’emporte sur tout ce qui me semblait auparavant si intéressant. En septembre 1953, je me retrouve au milieu de plus jeunes que moi, toutes enthousiastes de suivre Jésus dans la voie qu’il nous trace par ce Père qui s’ignore encore comme fondateur.

Un peu désorientée toutefois, sentiment bien compréhensible ! Quitter l’enseignement après dix années comblantes, me retrouver dans l’inconnu, remplir diverses tâches nouvelles auxquelles je ne me trouve pas préparée, rien de tout cela ne pourrait durer un mois si déjà Jésus n’était Tout pour moi, s’il ne remplissait ma vie : « Pour son amour, j’ai voulu tout perdre » (cf. Ph 3,8).

Cette vie de prière et d’action se poursuit avec calmes plats ou tempêtes, vallées désolantes ou ascensions transfigurantes ! C’est ainsi que j’approfondis l’expérience du discernement spirituel et que la joie intérieure de servir le Seigneur triomphe des attaques du Malin. Chaque matin, répétant : Tu m’as appelée, me voici !, je marche au pas de Dieu, dans la foi aveugle de qui se laisse conduire par l’Amour et dépouiller selon les appels du moment. Dès 1961, je suis nommée Responsable du groupe, mais des problèmes de santé ne tardent pas à me décharger de ce fardeau. Pour peu de temps ! En 1969, je dois remplacer subitement la Responsable en fonction : Tu m’as appelée, me voici ! Sauf un intervalle d’environ quinze mois, je remplirai ce service jusqu’en 2005, réélue d’un terme à l’autre.

Entre deux Années Saintes

Que s’est-il passé entre 1950 et 2000, années de grâces qui encadrent ma vocation à la Société du Christ Seigneur ? Une ascension d’amour dans le quotidien, la poursuite de la sainteté à travers les menus détails d’une vie toute vouée au service dans des responsabilités toujours plus lourdes. De 1969 à nos jours, j’ai vécu dans une communauté naissante les bouleversements dus à la Révolution tranquille et participé activement à la reconnaissance de notre Société selon son charisme et sa mission propres dans l’Église. J’ai connu aussi les joies des actions de grâces pour la croissance discrète mais continue de la Société sous la vigilance de son Fondateur ; j’ai partagé jour après jour une lente expansion des Fraternités Foi et Vie, des Équipes Pierres Vivantes, des Étoiles Mater Christi, qui s’épanouiront dans une famille spirituelle vouée à la Mère du Christ.

Que deviendra la Société du Christ Seigneur ? On peut se le demander en cette année de son 50e anniversaire de fondation. Sa mission de promouvoir l’esprit de l’Évangile et la sainteté dans le monde demeure toujours actuelle, puisqu’il s’agit simplement de sanctifier toute sa vie en l’insérant dans la volonté toujours adorable de Dieu, faisant tout avec calme, avec soin, avec joie, par amour, en union avec Marie. Toute personne de bonne volonté, à tout âge de sa vie — même un enfant — peut y parvenir, si elle est éduquée dans cette voie toute simple de croissance pas à pas, jour après jour, dans la Grâce qui ne nous manque jamais.

Si vous avez entendu un premier appel à suivre Jésus, puissiez-vous être inspirés de lui répondre : Tu m’as appelée, me voici !

Adrienne CABANA
Signes, vol. 37, no 1, pages 2s

Adrienne et Josette, 2008, photo Archives de la Société du Christ Seigneur

Josette Beaubien
4 avril 1929 – 23 avril 2020

Vocation d’une pionnière

Membre de la première heure de la Société du Christ Seigneur, Josette s’est dévouée au rayonnement de la communauté et de ses œuvres, dont l’animation de la Fraternité Foi et Vie Marie-Mère-de-l’Église. Nous vous présentons ici des extraits de son témoignage donné lors du 50e anniversaire de la fondation de la Société.

J’avais vingt ans quand je me suis jointe à la Congrégation mariale d’étudiantes qu’animait le Père Brien. Ne connaissant pas encore le projet de Dieu sur moi, je continuais de sortir avec les garçons, et c’est pendant un bal que j’ai reçu ma première demande en mariage. J’ai refusé, car je sentais un autre appel dans mon cœur, mais sans savoir lequel. Mon père me permit de faire un voyage de trois mois en Europe, dans le but, m’a-t-il confié plus tard, de vérifier ma vocation. À mon retour, il constata, déçu : « Elle n’a pas changé ! »

Peu de temps après, deuxième demande en mariage. Là c’était sérieux ! Je suis allée voir le Père Brien, pour lui expliquer qu’étant sensible, je pensais avoir besoin d’un homme sur qui je m’appuierais dans la vie. Clairvoyant, le Père me répondit simplement : « Faites confiance au Seigneur, il vous suffira. » Je l’ai cru, et avec raison : aucun homme n’aurait pu me rendre heureuse et me combler comme Jésus ! Je vous le certifie après cinquante ans !

J’avais confiance en mon guide spirituel et dans le seul moyen qu’il m’avait donné pour trouver ma vocation : prier ! Et j’ai trouvé ! Lors de mes premiers Exercices spirituels de cinq jours, j’ai compris de l’intérieur ce que Jésus attendait de moi : être toute à lui et me livrer entièrement à lui dans la vie consacrée.

Le 1er décembre 1951, le Père réunit celles qui pensaient à la vie consacrée. Nous ignorions qu’il nous préparait toutes individuellement. Quelle ne fut pas notre surprise de nous retrouver sept, toutes de la Congrégation mariale animée par le Père Brien ! Symboliquement, il nous invita à monter dans le train qui partait pour l’Alaska. Le train n’arrêterait pas.

Nous ne pourrions pas descendre en chemin. Qui acceptait de le suivre ? J’embarquai ! Le Père ne savait pas ce qu’il fonderait, il connaissait seulement le but : JÉSUS. Son premier souci était de nous attacher à Jésus. Nous n’avions rien à l’époque : ni Constitutions, ni maison, ni habit distinctif. Jésus seul. Ce qui m’attirait dans ce genre de vie, c’était de pouvoir me donner totalement à Dieu dans la voie des conseils évangéliques, en restant laïque dans le monde et en continuant de servir les Congrégations.

Pendant deux ans et demi, les premiers membres demeuraient dans leur famille, gardant le secret sur leur appartenance à la nouvelle communauté. Mais un jour…

Constatant le développement de la Société, le Cardinal Léger proposa au Père Brien d’acheter une maison pour la formation des membres. J’ai alors informé mon père que je faisais partie de la Société et que je devais quitter le toit familial pour aller habiter la maison achetée par le Cardinal. Papa s’y objecta : « Impossible, Aimée (notre gouvernante) nous quitte pour épouser son militaire revenu de Corée. Tu es l’aînée des filles ; tes frères et sœurs ont besoin de toi. » (Nous étions six enfants, et maman était décédée quand la benjamine n’avait que dix-huit mois.) Papa décida de faire de moi sa secrétaire privée et il m’envoya passer un examen médical chez notre médecin de famille. Perplexe, j’allai à l’église et, à genoux à la balustrade, j’ai dit à Jésus que je ne pouvais le suivre dans la Société car je devais m’occuper de mes frères et sœurs ; s’il me voulait, il fallait qu’il arrange cela lui-même. Le médecin fit son rapport à papa : « Josette est en parfaite santé, mais il y a une difficulté : elle ne pourra pas se donner à deux choses. Son cœur est dans son œuvre. — Je suis sûr qu’elle me choisira », lui répondit papa. Et il vint me trouver : « Ton père ou le Cardinal. » Ma réponse ? « Ni l’un ni l’autre. Je choisis Jésus, c’est à lui que je me donne. » Visiblement contrarié, papa me répondit : « Va te coucher. » Le soir même, il appelait le Père Brien… et le lendemain matin, il me laissait partir !

La suite tient presque du conte de fées… Reçus l’un après l’autre par le Père Brien, monsieur Beaubien et la gouvernante reconnurent qu’ils s’aimaient… Leur mariage eut lieu peu de temps après, avec le joyeux consentement de chacun des enfants Beaubien. Josette était libre pour se donner à Dieu, à qui rien n’est impossible ! Elle nous parle de la vie à l’intérieur de la petite communauté maintenant rassemblée.

Depuis les débuts, c’est le Père qui voyait à notre formation. Nous étions jeunes et sans beaucoup d’expérience. Voici deux anecdotes illustrant sa manière de nous apprendre le souci du travail bien fait et le soin à apporter à toutes choses.

On m’avait demandé de balayer les marches en bois verni du grand escalier donnant sur le hall d’entrée. Je m’y suis mise avec ardeur… frappant chaque contremarche, sans m’en rendre compte, avec le dos du balai. Cet escalier était tout près du bureau du Père. Il vint me voir et, délicatement : « C’est vous qui balayez l’escalier ? — Oui, mon Père, et il sera propre. — Oui, reprit-il, mais chaque marche va rester marquée ! » Puis demandant le balai, il me montra comment balayer sans bruit, en inclinant les poils du balai vers la contre-marche. On n’entendit plus le bruit du balai !

Un autre point à travailler : mon langage ! Le Père assistait à mes conférences en prenant des notes, et croyez-moi ce n’était pas pour retenir de belles idées, comme je l’ai pensé au début… mais pour noter mes fautes de français ! Il me faisait ensuite venir à son bureau et, sa feuille en main, il m’expliquait mes erreurs. Un jour, me voyant au bord des larmes, il me dit avec bonté en me tendant sa feuille : « Ne vous découragez pas, apprenez les corrections. »

Josette se dépensait sans compter au service des Congrégations mariales : visites de groupes au Québec, au Canada anglais, aux États-Unis ; participation à des congrès mondiaux, où elle eut l’occasion de donner des conférences ; membre pendant douze ans du Conseil exécutif de la Fédération mondiale. À la demande du Fondateur, elle rendait régulièrement compte au Cardinal Léger du développement de la Société. Jésus lui réservait des surprises…

Dieu se sert des petits pour accomplir de grandes choses ! Envoyée par le Père Brien avec Monique Brunel auprès du Pape Pie XII, j’ai eu l’immense privilège de lui remettre la première version des Constitutions de la Société. Peu de temps après, celle-ci était reconnue comme un « état de perfection » de droit pontifical ! Une autre grande grâce pour moi a été d’accompagner le Cardinal Léger à Rome, comme secrétaire. Ceci me valut d’assister à la messe de Jean-Paul II dans sa chapelle privée et d’être invitée à déjeuner avec lui.

Jésus m’a manifesté son grand Amour et je lui redis souvent : « Je suis la petite servante de la Servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (cf. Lc 1,38). C’est ma devise. Être à l’exemple de la Servante du Seigneur, ma mère, un OUI perpétuel à Dieu. Après cinquante ans, ma vocation est la même qu’au début : Jésus. Jésus Christ hier, comme il l’a été pour moi il y a cinquante ans ; Jésus Christ aujourd’hui, puisque, selon la pensée de notre Fondateur, « Je n’ai pas de meilleure chose à faire que d’être unie à Jésus dans la tâche que présentement il attend de moi. » ; et Jésus Christ à jamais, selon sa promesse : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des siècles » (cf. Mt 28,20).

Josette BEAUBIEN
Signes, vol. 36, no 2, pages 62s